À observer dans le jardin les allées et venues à l’aveugle du tout jeune ramier (un ramereau ?), je crois comprendre qu’il a comme une écrevisse dans le vol-au-vent. Des salons à louer dans la tête, quoi. Entre azurés du serpolet, on se comprend.
En voyage, tout le monde vous le dira, on se fait des amis bleus
là, c’était dans le quartier de Nippori.
Il m’a suivie jusqu’ici, lui. D’abord de loin
– qualité essentielle en amitié, la discrétion
puis il s’est enhardi
– le courage, c’est pas mal non plus
c’est ça les vrais amis bleus

ils sont bleus et ils vous suivent partout

même par temps de pluie
Il m’a dit Regarde, il y a un reflet
Attends, je vais me mettre au milieu
(marre d’être photographié à gauche)
Voilà, c’est parfait.
Non, le jardin ne suffit pas, vois-tu. Il faut que les oiseaux daignent s’y poser et ça ne va pas de soi. Une fois que, ça ne suffit pas non plus. Il faut qu’ils picorent leurs graines et brisures de biscottes à travers brindilles et billes d’argile et ça ne suffit pas. Il faut encore qu’ils boivent aux quatre points d’eau du jardin (dont une fontaine géante). Et ça ne suffit pas, il faut que l’harmonie règne entre eux – s’ils se pourchassent, ça gâche tout absolument tout. Si tout concorde, ça commence à ressembler à l’esquisse de quelque chose mais ça ne suffit toujours pas. Il faut qu’ils manifestent quelque inclination à demeurer dans le paysage alors qu’ils n’ont plus ni faim ni soif et que le ciel les appelle et ça ne suffit pas. Ajoute quelques pincements de luth, retiens ta respiration, tu vas faire de la buée sinon, t’occupe, je sais ce que je dis, je crois qu’on oui approche de la perfection.
Pourquoi tu soupires ?
Cet après-midi, en regardant les géraniums, dehors, sur l’appui de la fenêtre, menacés par un froid intense (le premier jour d’hiver), j’ai été littéralement pris de pitié pour eux et les ai rentrés dans l’appartement avec un soin que je ne porterais pas à mes semblables. (On peut aimer une fleur mais pas un homme.)
Dix jours de jardinage. Ça vaut tout de même mieux que dix jours de bibliothèque. Entre bêcher et bouquiner, mon choix est fait. De plus, j’aime mieux manier une pelle qu’une plume.
Cioran, Cahiers, 1957 – 1972
Pourquoi revenir vers lui, encore et toujours ? – Parce qu’il est le seul qui sache m’écouter, me consoler par ciel de traîne.
Tu as d’autres amis quand même, pourquoi lui ? – Parce que c’était lui, parce que c’était moi.
Sans rire. – Parce que tout petit qu’il est, il est peuplé, tu sais. Toute une population diverse tient chez lui des conciliabules nocturnes, fomente peut-être une révolution, tu imagines !
De quoi tu parles ? – Ben… du jardin. Tu vois, s’il m’est si précieux, c’est peut-être que, donnant à boire et à manger à ses habitants, je joue un peu à Dieu ?
choses qui abattent
le bruit de la tronçonneuse
est-ce un bruit
et puis il y avait un nid tout là-haut
Mignonne, allons voir si la rose
rien à faire, ça ne passe pas
mon petit page, trop vite reparti
étanchéité
assurément le mot préféré du jardinier
s’il ne l’a pas proféré cent fois l’autre matin
~
choses qui revigorent
un vieux menuet de Ravel joué par Samson François
la palombe venue ce matin non pour chercher de quoi becqueter mais trouver de quoi faire un nouveau nid, quelle santé
les roses, les lauriers-roses, l’érable
les amis, mon vieux, les amis !
Le peu de jardinage que je sais, je le dois à Frances. Dans son jardin de l’arrière-pays niçois, je touchai pour la première fois à un râteau de jardinage. Je commençai à ratisser sous le soleil et très vite, devinai sous les dents de l’instrument des légumes qui ne demandaient qu’à sortir à ciel ouvert. Je m’attendais à des carottes, des navets. Ce furent des pommes de terre. Et c’est exactement à ce moment-là, et non avant, que je compris POURQUOI on disait : “pomme de terre”. J’avais 28 ans. L’autre siècle, le vrai.