Plus la saison était triste, plus elle était en rapport avec moi.
Je le citais à plaisir, ne manquais jamais une occasion de me moquer. Ça me faisait tellement rire. Et pourtant.
Plus la saison était triste, plus elle était en rapport avec moi.
Je le citais à plaisir, ne manquais jamais une occasion de me moquer. Ça me faisait tellement rire. Et pourtant.
Le célibat est parfois une manière de se masquer à soi-même qu’on est déjà engagé secrètement avec quelqu’un. En dépit des apparences, il n’y a pas de possibilité de rencontre. La place est déjà prise.
Qui serait cet autre si secret ?
Ce peut être un parent qu’on a intériorisé, ou un frère mort avant sa propre naissance, ou encore un grand-parent dont on porte le nom… Parfois, ces personnes seules « vivent » avec un revenant à qui elles font dans leur vie une présence considérable. Elles ne savent pas que ces vampires réclament leur présence et leur attention constante. Et une fidélité absolue. Pour ces hommes ou ces femmes, entrer dans une histoire d’amour, c’est alors abandonner cet autre qui les hante secrètement – vivant ou mort –, et briser un pacte inconscient de loyauté.
Anne Dufourmantelle, Laure Leter, Se trouver
Fukuruzaka Yasuo
Deux ptits gars trottinent derrière moi, me dépassent.
– Je revenais du sport, j’étais mort, j’avais méga-faim et rien à bouffer chez moi. Et j’ouvre le frigo. Et il y avait le poulet rôti de ma mère ! Un poulet entier !
Un matin, à Toyonaka, Lalou m’avait ramené un verdier, inerte, dans sa gueule. Au-dessus, je voyais les yeux rieurs de Lalou, réjouis au-delà du réjouissement, Vois, c’est pour toi. Mulots, moineaux, tout ce qui était petiot, elle me l’offrait. À part les mulots à qui elle avait déjà tordu le cou à 180º, les ziaux étaient toujours vivants. Il suffisait d’éloigner le chat, de les prendre et de les ranimer avec un peu d’eau sur le bec, puis d’aller les déposer dans un jardin, le plus loin possible de la maison. Ce que je fis pour le verdier.
Las, l’après-midi même, tandis que je parlais au téléphone, je me retournai machinale et vis sur le tatami l’oiselet vert, pour de bon inanimé. Mort pour de vrai.
Dans cette répétition, j’avoue, j’ai vu quelque chose de diabolique.
Pour Sylvain
Mérimée raconte une légende que j’ai toujours à l’esprit : comment don Juan, se promenant chaud de vin, sur la rive gauche du Guadalquivir, demanda du feu à un homme qui passait rive droite en fumant un cigare, et comment le bras du fumeur (qui n’était autre que le diable en personne) s’allongea tant et tant qu’il traversa le fleuve et vint présenter son cigare à don Juan, lequel alluma le sien sans sourciller et sans profiter de l’avertissement, tant il était endurci.
Franck Venaille, C’est nous les Modernes
Quel âge a donc ce petit d’homme et de femme dans sa poussette, 2 ou 3 ans. Il feuillette un prospectus et commente : Des gâteaux ! Des gâteaux ! Tourne la page et rit : Des gâteaux ! Des gâteaux ! Ne vivons-nous pas dans un monde fabuleux. Il en veut encore et poursuit sa quête de page en page. Soudain, il se fige : Oh ! Une femme !
Maeterlinck, admirablement, décrit ce qu’il advient de certains d’entre nous qui ont senti l’odeur du sang plus tôt que d’autres. Ces vulnérables, les voici : Ils sont étranges. Ils semblent plus près de la vie que les autres enfants et ne rien soupçonner, et cependant leurs yeux ont une certitude si profonde qu’il faut qu’ils sachent tout et qu’ils aient eu plus d’un soir le temps de se dire leur secret. Ces êtres étranges, Maeterlinck les nomme « les avertis ». Ils savent. Ils ressentent déjà les premiers signes du mal. Ils ne se trompent pas sur les raisons profondes de cette douleur ! Je ne sais pas pourquoi mais je sens que chacun des poètes que j’aime est une sorte d’ancien averti qui a conservé en lui une part de l’innocence du petit Yniold. Si la poésie possède un sens c’est bien de prendre en charge ces hommes et ces femmes qui semblent demander pardon d’une faute inconnue.
Franck Venaille, C’est nous les Modernes