mon onc’

 

1

 

Le plus bel homme du monde craint le soleil comme personne. C’est parce que je suis vieux. Mais non, c’est parce que tu es blond. Un vieux blond, quoi, insiste-t-il.

Le plus bel de la terre prend le matin un premier thé nature avec deux sucres. Le suivant sera un peu moins sucré, etc. La cinquième tasse sera pure de tout édulcorant et la journée pourra enfin commencer.

Au marché :

– Quatre œufs, s’il vous plaît

– Ah, on les vend par six, Monsieur

– Bon ben, une demi-douzaine alors. Et donnez-moi donc un quart de reblochon

– Ah, c’est par demi, Monsieur.

 

2

 

Maman ne saisit pas très bien ce que je lui trouve à Jean-Mo. Ça va passer, estime-t-elle. Un autre kir ?

 

Un ami passe nous voir et nous raconte des histoires algériennes absolument palpitantes. Impossible de me souvenir d’une seule.

 

Maman et moi mangeons une galette formidable dans la plus vieille crêperie de Saint-Malo. Elle me parle de certaines histoires de famille, de la femme d’un oncle presque inconnu. Elle n’est pas allée à l’enterrement de Nine, figure-toi. Elle a écrit une lettre qu’elle a mise sous enveloppe et a demandé qu’on la mette dans le cercueil.

 

Longue halte en compagnie de cet ami au rayon des vins de Marché Plus. A moins de 12,5º, on se méfie.

 

Plus triste que prévu de son départ. Faut dire, il nous a raconté de ces histoires.

 

3

 

Quand Jean-Mo m’emmène dans sa campagne, le roi n’est pas mon cousin. Un soir, il m’appelle, je lisais. Écoute, il faut qu’on parle, ça fait deux jours qu’on est ici, non ? Oui – silence de mort. On est bien, non ? Oui – silence d’une autre nature. Et si on restait un jour de plus ? Oui.

 

En vérité, Jean-Mo et moi nous connaissons très peu. Pour définir notre amitié je dirai qu’elle est naissante.

 

4

 

Maman a les yeux couleur de mer. D’où l’avantage de passer quelques jours à Saint-Malo. Jean-Mo partage cette grâce mais comme il bulle dans le Poitou, c’est plus difficile de se faire une idée.

 

Le dilemme de maman au moment du dessert. Je vais lui demander c’est quoi son croquant, sinon je prendrai le croustillant.

 

5

 

Jean-Mo sait faire du feu et ne s’en prive guère, Ça va nous faire de belles braises, ça, non. Il gambade autour du barbeuk en converses vertes puis s’arrête, en admiration sans retenue devant son œuvre. A cet instant précis et formidable et formidablement précis, je défie quiconque de me dire qu’il existe sur la planète un être plus bel.

 

6

 

Décor. Algérie, un pré-chantier en Algérie, présence d’arbres. Il faut déblayer. Il est stipulé dans la charte qu’on doit déraciner les arbres afin de pouvoir aller les replanter dans un autre endroit. Arrivée d’une camionnette, l’équipe japonaise. Un à un, les gars descendent, s’asseoient par terre et sortent une bouteille de saké. Puis du sel. Et commence une cérémonie shintô, émouvante. Au bout d’un moment, on range le sacré matériel et on passe aux choses sérieuses, la tronçonneuse.

 

7

 

Jean-Mo, parler de lui sans parler de lui, s’en faire une spécialité.

 

8

 

Vacances en Bretagne avec maman, Dinan, le pays de Léhon, Dinard, Saint-Malo, depuis toujours semble-t-il, d’où ce petit goût de folie, la folie douce de la répétition. Photographier les mêmes couchants, les mêmes pierres, les mêmes mouettes, année après année. De douces cinglées nous sommes.

 

Cette année pourtant, nous osons pour la première fois goûter les moules aux Chiens du guet. On y retournera l’année prochaine.

 

9

 

Quand Jean-Mo sort avec de vieux copains, la soirée peut dégénérer. Commencée au whisky, enchaînée au rouge, une telle soirée peut, ça s’est vu, s’achever par deux cocas pour trois.

 

Et s’il ne sort pas, il lui arrive de s’ennuyer le soir. Pas le cœur à lire ni à quoi que ce soit, peur de s’endormir à 21 heures devant le dernier DVD trouvé au marché. Il conclut au téléphone Tu fréquentes un homme âgé.

 

10

 

J’ai pris ma caméra malgré le soir tombé, pas fâchée d’avoir raté le coucher de l’astre sur le Grand Bé. L’ami venu nous voir a un sourire sans joie. Pendant ramadan, à la seconde où la nuit est proclamée, on se précipite sur la nourriture. La plupart engraissent durant le jeûne. Cette histoire nous donne furieusement faim.

 

11

 

Jean-Mo ne fait pas dans le déclaratoire, là n’est pas son café. Au mieux, il m’appellera Ma grande. Je me demande même parfois s’il ne rêve pas en douce d’une relation avunculaire.

12

 

Maman a envie de me filmer dans la très jolie robe blanche un rien antique qu’elle m’a offerte. Je rase les remparts cinégéniques sans trop regarder vers la caméra, ça doit être artificiel au possible mais mon Dieu c’est les vacances. Surtout, j’aime bien quand je marche les mouvements de voile sous l’effet du vent et je pense à Jean-Mo, aimera-t-il ma robe d’esclave, quand maman s’énerve, Pas si vite attends pas si vite, arrête-toi, voilà, ne bouge plus, c’est ça.

Maman et le cinéma.

 

13

 

Jean-Mo m’a demandé un jour si je voudrais bien l’accompagner à Mantoue, j’ai répondu oui, il a dit chic.

 

S’il a apprécié le Palazzo Te, il a un peu froncé quand on a traversé au pas de course les galeries du Palazzo Ducale pour arriver plus vite au Castello, là où sont les fresques de Mantegna. Tentait-on inconsciemment de rivaliser avec le trio de Bande à part ? Jean-Mo ne daigne même pas sourire à cette évocation, Godard le tuant d’ennui – les termes qu’il emploie sont plus colorés.

 

Un campari en terrasse ramènera quelque clémence sur son visage. Après quelques bouffées de winston, il jugera, partial et pentasyllabique,

 

Il est bien plombant

le palais ducal

 

14

 

Dinan nous fit découvrir le kir à la pêche, il y a quelques années – de retour à Paris, maman avait aussitôt cherché-trouvé ladite liqueur. Nous prenons tout de même plaisir à retourner de temps en temps au bon vieux cassis et ces allées et venues ponctuent notre séjour malouin. Il est bientôt midi, justement. Dans le Poitou aussi, j’imagine. J’attrape mon téléphone portable pour annoncer à Jean-Mo qu’ici et maintenant, c’est l’heure de l’apéro. Du fin fond de la Charente il me répond Synchro grave.

 

15

 

A Mantoue, derechef. Jean-Mo a des plans de travail pour la matinée. De mon côté, j’irais bien voir la maison de Mantegna. Nous avons donc rendez-vous devant l’hôtel vers une heure pour déjeuner.

 

Un peu en avance, j’arrive dans les parages du Broletto, pensant aller me rafraîchir dans la chambre, quand j’avise à la table d’un café un Jean-Mo en pleine verve avec des amis. Il me fait de grands signes que ne dément pas l’éclat de ses yeux fer. Au moment de le rejoindre, je trébuche, on rit. On boira de l’eau gazeuse, on plaisantera avec ses amis et il me tiendra la main tout du long.

 

Merci Mantoue, merci pour tout.

 

16

 

Il tombe. Non, il s’est baissé. C’est dans le crépuscule un petit vieux à casquette que je filme depuis mon promontoire. Le seau pendouillant au bout de son bras a eu raison de ma curiosité. Pour le plaisir de savoir, j’ai attendu le temps qu’il a fallu qu’il désescalade les escaliers de pierre menant à la plage du Grand Bé, la trouille au ventre que la batterie me lâchât. Quand il a finalement posé pied sur le sable lunaire, j’ai eu l’impression de vivre un moment d’Histoire.

 

Il s’est donc baissé, a saisi une pelle que je n’avais pas vue et s’est mis à remplir son seau de sable, à son rythme. Je serre fort la caméra, bénis la constance du point lumineux rouge. Quand le seau a l’air plein, le vieux poupard s’en va, sa pelle dans une main, son seau dans l’autre, il quitte mon champ par la gauche. Je relève la tête, il a disparu. Ma caméra a tenu le coup, mais bon.

 

17

 

Pour tirer le portrait de Jean-Mo, c’est toute une histoire, ce n’est jamais le bon moment. Franchement, tu n’as rien de mieux à faire ?

 

Une diversion plus ou moins efficace consiste à prendre le paysage puis mine de rien se rapprocher. Après les caravanes de nuages, le jardin, le poirier, les poires, le cerisier au beau milieu qui ne donne pas de cerises, les glycines à venir ; et puis un peu plus près, la table de la terrasse, la nature morte du petit déjeuner vue d’avion, pêches coupées dans deux raviers, tasses de thé jumelles, petite cuillère posée sur les pots de fjord encore intacts, téléphone portable, coin de la boîte de sucre en morceaux, bout du Canard enchaîné (voir photo) ; s’attaquer ensuite au fer à cheval sur le mur et enfin zoomer sur la chaise rapatriée de la cave où le précédent propriétaire l’avait remisée – une belle pièce en bois presque trop grande, épurée, une idée de chaise, un dossier, un siège et c’est tout, pas de pieds – on dirait une robe longue pliée sur une chaise, cette chaise. Bien qu’elle n’ait pas de bras non plus, Jean-Mo l’appelle un fauteuil. C’est bien de l’avoir sorti finalement, ce fauteuil à la con. Clic.

 

18

 

Tout nous plaît dans l’appartement que maman et moi avons loué pour une semaine. Il a le compliqué cachet de l’ancien – escalier en colimaçon, fausses portes à l’intérieur – une vaisselle digne de ce nom – fini les verres à moutarde des autres années. Las, nul tire-bouchon. Nous voilà ahuries face à notre fière bouteille de saumur champigny, à l’heure où tous les magasins sont fermés.

 

Ultime espoir, Les chiens du guet. C’est moi qui m’y colle. Arrivée à l’entrée du restaurant, je flanche, c’est comme ça, je songe à battre retraite, on va bien trouver un sabre derrière l’une de ces portes condamnées, on est dans la ville des corsaires quand même, mais le serveur survient en souriant, chargé d’un plateau de fruits de mer, à l’écoute de ma requête. Le fou délaisse immédiatement ses coquillages et crustacés sur le comptoir pour s’en aller quérir l’ouvre-bouteille de mes rêves. Comment le remercier – les huîtres, à l’agonie, se demandent.

 

19

 

Il n’est pas là

je bois un coup

les grillons

 

Oui, Jean-Mo, je lui écris parfois un haïku, fautif. Ou un pantoum. 

 

20

 

Dès qu’on pose pied sur le sol breton, du plus loin que je m’en souvienne, on se met en quête d’espadrilles. Certaines années leur sont hostiles – Ça ne se fait plus, vous savez, c’est les tongues maintenant – mais on n’est pas nées de la dernière pluie, on s’acharne.

 

Cet été, maman en a trouvé de beiges rayées de marine. Et toi ? Non merci, j’ai des sandales. Maman interrompt quelque chose qu’elle ne faisait pas. Tu es sûre, ma chérie ? Je tremble un peu intérieur, acquiesce fortement. Maman capitule et va régler son achat, une somme modique – moins modique au fil des ans, cela dit. On quitte le magasin bras dessus bras dessous, souriant finement chacune pour soi.

 

Vrai, il était temps, tout de même, que je coupe le cordon. A partir d’aujourd’hui, je ne dirai plus maman, ce sera Mer.

 

21

 

Jean-Mo a toujours peur de me réveiller en appelant trop tôt. Quant à lui, il n’aime guère paresser, un matinal c’est. Rien à voir avec moi. Faux-jumeaux on est. Le jour et la nuit. Thé vert et thé au lait, le rouge et le noir, rücksag et baise-en-ville, patinette et vespa, croix de bois et croix de fer, le chagrin et la pitié, pull de base et tricot.

 

Alors il patiente encore un peu avant de composer mon numéro. Et même, parfois, il se trompe, il gagne du temps. Bonjour, je m’appelle Jean-Mo et je porte un T.Shirt fluo, j’espère que tu aimes ça. Mais ce n’est pas moi à l’autre bout du fil. Il le sait très bien, il demande pardon, il a tué deux minutes.

 

Il est drôle, Jean-Mo, il dit Pour rien au monde je ne voudrais flinguer ton sommeil.

 

22

 

Mouette ou goéland, voilà qui ne laisse pas de nous donner à penser à Mer et moi. Je ne suis pas forte en ornithologie mais tout de même, ce serait un cagou, je le reconnaîtrais tout de suite.

 

Dans l’incertitude, nous observons les hardis palmidèdes. Le silence s’impose.

 

Ce serait un cagou, on serait en Nouvelle-Calédonie. Ça nous avancerait peut-être. 

 

23

 

Les livres ça ne compte pas, non plus que la musique ou les photographies mais, sans avoir terriblement de choses en commun, Jean-Mo et moi possédons trois objets rigoureusement identiques.

– Une grosse boîte d’allumettes quadrangulaire et triangulaire à la fois (112 mm x 71 mm x 40 mm en bas / 19 mm en haut), trouvée au marché de Kitano-Temmangu, illustrée sur fond rose d’une jeune Japonaise dubitative et rétro vêtue d’un chemisier col Claudine à carreaux roses et noirs et coiffée comme Sheila à ses débuts. Bouche ouverte et œil interrogateur, elle tient de sa main gauche le récepteur d’un téléphone noir tout en pointant son index droit sur son menton, allégorie réussie de Comment qu’on fait maintenant

– Un petit cendrier en fer mat décastré de son fauteuil d’avion (SICMA AERO SEAT de type A)

– Une gomme plate bicolore deux tiers rose un tiers bleue avec l’inscription gommer trois fois, en blanc, de grosseur différente, achetée dans un superU en pays de Bray

 

Ça ne prouve rien, certes.

 

24

 

Mer et moi levons la tête vers le gris là-haut. Tiens, tiens, ça va tomber. A peine le temps de le penser que toute la réserve d’eau du ciel, à peine annoncée par deux trois gouttelettes, décide sans tergiverse et sans délai de se déverser ici, maintenant, d’accord. Nous courons nous mettre à l’abri sous les arcades de la place des Cordeliers. Las, sommes quasiment les seules. Et Mer d’observer que les autochtones ont à peine haussé le sourcil et continué leur route, placides sous la saucée, comme si de rien n’était. A cet instant, malgré sa marinière, Mer doute soudain de son appartenance à ce clan.

 

25

 

Aujourd’hui, non seulement Jean-Mo se sent vide mais il m’inclut dans ce trip, c’est dit, nous sommes dévitalisés. C’est que l’acédie s’empare de lui absolument sans prévenir. Type de désolation classique, oasis d’horreur dans un désert d’ennui, requin mort.

 

Et que faire quand on a insensément épuisé son Gavin Bryars au matin, quand le tabac commence à ne plus avoir de goût dans la bouche et que la vue d’un litron de rouquin ne sert même plus de rien. Nul marché, nul nouveau film à voir, nul ami à appeler, heureux ceux qui travaillent.

 

Alors oui, tourner et tourner encore en son appartement de prince, scruter l’arrivée des nuages par-dessus les toits, aviser plus bas quelque belle qui chemine au loin, trop loin, et vers quel destin donc, et puis finir par vérifier les progrès du chantier d’en face, c’est vrai, ça progresse. Il faudra bien y lancer une bombe un jour. Cette seule pensée éclaircit le paysage intérieur de Jean-Mo, comme une poire pour sa soif. Sans compter certaine pomme.

 

26

 

Mer sera toujours là pour s’occuper de moi, mais j’ai aussi l’ami Sy. En ce moment, il est si prévenant que je me demande si je ne suis pas atteinte sans le savoir d’une maladie incurable. Il y a plus désagréable comme sensation.

 

27

 

On peut être partisan de la litote et tenter de-çà de-là une menue percée dans la démesure. Tel Jean-Mo à ses heures.

 

Comme nous discutons de tout et de rien au téléphone, ce qui devient par exemple dans la presse l’Affaire Kundera, il me demande tout à trac Tu m’envoies un mot, allez, envoie-moi un mot – Mais je viens de t’en envoyer un, que tu n’as certainement pas eu le temps de lire puisqu’on est en train de se parler. Loin de se démonter, à croire que ça le remonte au contraire, Jean-Mo enchaînera Allez, envoie-m’en un autre.

 

De tels élans sont rares.

 

28

 

Dans la rue du Jerzual, une dame vend dentelles et fanfreluches. Mer et moi ne résistons jamais d’année en année à lui prendre un jupon, une nuisette, et dame Marie sourit largement quand elle repère au loin ses deux vacancières. Je suis toujours bonne pour poser dans l’une des robes présumées des compagnes de cour de la duchesse Anne et faire semblant d’y croire. Maman prend les photos en discutant avec Marie qui, vient-ce de son sang espagnol, est loin d’être une taiseuse.

 

Cette fois-ci, c’est une robe blanche qui a ma préférence. Comme j’hésite, Marie soupire Oui, ça fait un peu robe de mariée, je l’ai aussi en vert d’eau, si vous voulez. Soit, j’essaie. Tout le charme est tombé. Mer m’offre la blanche.

 

Robe de mariée, quelle drôle d’idée. Une robe d’esclave c’est.

 

29

 

Je confie un jour au détour d’une de ces conversations qui font notre quotidien et qui font de ce quotidien quelque chose de vivable, j’avoue donc à Jean-Mo combien le mot frigo me hérisse, combien je le trouve absolument laid, ce mot – même s’il est talonné de bien près par son congénère congélo qui de son côté frise l’atroce. Dans l’un des prochains billets électroniques qu’il composera plus tard, il m’écrira mine de rien qu’il est grand temps qu’il sorte faire quelques courses de survie parce que crois-moi ou pas, je n’ai plus rien dans le fridge. 

 

30

 

Mer et moi avons investi le café de la place Saint-Sauveur depuis le matin. On a commencé par deux cafés et on a remis ça, on avait du courrier à faire et pas de réelle inspiration, Mer m’a même demandé une marlboro, c’est dire. Sur le coup de midi, on a commandé deux kirs et on a remis ça, n’ayant pas encore tout à fait achevé nos cartes postales sanguinolentes de soleils couchants. Et quand on a eu fini, comment s’en aller. Bref, on a déjeuné là de deux salades excellentes et avant de partir on a lancé A ce soir à la serveuse effarée.

 

31

 

Jean-Mo promène sur le monde un regard fer. Il est des jours où personne ne trouve grâce à ses yeux, tel journaliste est un malade mental, telle photographe une sotte, lui-même… C’est bien simple, je n’ai pas d’amis, je n’ai personne. Comme il n’entend plus rien depuis quelques minutes à l’autre bout du fil, il se râcle la gorge. Bon, tu vois ce que je veux dire. J’articule j’entrevois.

 

32

 

Mer se fait du souci pour une vieille amie chère et vraiment vieille et très malade, Line. A elle elle n’a pas envoyé un simple coucher de sol mais une marinière authentique sinon à quoi bon, un bonnet de marin et une douillette écharpe pour passer l’hiver. Je commence à comprendre ce goût que j’ai pour la littéralité.

 

Nous cheminons le long de la Rance quand Mer pousse un petit cri retenu et porte la main à son cou, quelque chose m’a piquée. Je regarde, c’est en effet un peu rouge et Mer a l’air pas bien. Nous sommes à deux kilomètres de Dinan, on ne trouvera guère de pharmacie dans le bourg de Léhon, on rebrousse chemin. Ça fait mal ?

 

A Dinan, le pharmacien en a vu d’autres. Il va chercher un flacon, en imbibe une rondelle d’ouate et la tend à Mer qui se l’applique sur le cou. Et c’est tout ? Mer tient tout de même à acheter la solution. Dehors, j’examine à nouveau la piqûre, désormais un net renflement blanc cerné de rouge. Je pense surtout à cet adage chinois, Visage qui pleure, abeille le pique.

 

 33

 

Citrate de Bétaïne est une jeune personne assez distinguée mais un peu snob tandis que Dolly Prane a plutôt l’air bonne fille, cousine pas si éloignée de Sally Mara. C’est ainsi, je récite par le menu à Jean-Mo ce que j’ai mangé et lui me raconte ses médicaments.

 

34

 

Nous avons notre poissonnerie préférée rue de la Halle à Saint-Malo. Nous mangeons du poisson presque tous les jours. L’ami venu nous rendre visite nous a appris une recette de maquereau qu’on ne se retient pas de réitérer, quelque chose entre la répétition et la compulsion. Mais aujourd’hui, ils ont de la lotte.

 

Je fais remarquer à Mer qu’à cause de sa hideur, on n’expose jamais la lotte dans son intégralité corporelle sur les étals, on la décapite, l’effroyable tête de lotte. Mer sourit, finaude. Je me souviens alors que c’est elle qui m’avait conté cette histoire que je lui ressers là, faraude. Mon visage doit prendre des teintes de crevette cuite. Linotte, va.

 

35

 

Jean-Mo a donc acquis à la campagne une petite maison gentille comme tout. Il passe avec ses amis de gentilles soirées. Au fond du fond, c’est un gentil garçon.

 

36

 

Sur les morceaux de maquereau finement coupés, verser le jus d’un citron, ajouter quelques rondelles d’oignon rouge, de la coriandre puisque c’est féminin, un filet d’huile d’olive, sel, poivre et hop, au fridge.

 

37

 

Jean-Mo évoque en ricanant une amie italienne qui estime que la distance idéale entre un homme et une femme est de 500 km. Elle débloque à fond, il en a a plein le dos qu’on soit à 10 000 l’un de l’autre. Connaissant Jean-Mo comme on le connaît, sachant son goût modéré de l’hyperbole, on pourrait se demander ce qui lui prend. Juste vrai, il Paris, je Kyoto.

 

Je l’imagine en train de boire son thé, Jean-Mo, j’envie sa tasse.

 

38

 

Une lumière c’était. J’étais toute petite et mate, elle mon système solaire.

 

Quand j’avais contrefait sa signature sur le livret du CE1, n’était-ce pas aussi en partie pour être elle, un peu. La maîtresse s’en était aperçue tout de suite, échec et mat.

 

J’étais malade comme un chien chaque hiver pour que maman vienne me voir et elle venait, dans un état d’alarme absolue.

 

Une lumière c’est toujours.

 

J’avais dit que dorénavant, ce serait Mer.

 

39

 

A l’Aquila Nigra

Jean-Mo prit comme moi

du jour le poisson plat

Et viva Mantova !

40

 

Qui, trouvant une sole mi-ensablée à marée basse, la cueillit encore palpitante à deux mains pour la rejeter dans la Manche en écrasant une larme ; qui, avisant un scarabée chu sur le dos attaqué par une armée de fourmis, se débrouilla pour trouver un arrosoir et entreprit de verser à petits coups de l’eau sur les soldates miniatures pour sauver le ballot ; et y parvenir ? La vie des animaux n’intéresse personne comme Mer.

 

Mais attention, gare aux pigeons.

 

41

 

Des racines dans le sud, des fondations dans le septentrion, des rudiments de solfège, un bon départ en harmonium, des éléments de philosophie, une certaine aspiration à l’ataraxie bref, Jean-Mo se définit comme un mec de base.

 

Quand il y pense intensément, il se fige dans sa tâche du moment, la préparation de la salade Pondichéry dont il vient d’assimiler les principaux composants, et passe sa main sur sa joue, les yeux ronds. Puis il reprend tout doux son chou rouge, là, les yeux ronds toujours, là c’est fini. Au soir, il aura pleinement récupéré et servira crânement son hors-d’œuvre à ses invités.

 

42

 

Les sages peuvent trouver la vie simple. Les fols que nous sommes ploient sous sa complexité. Mer, qui raffole des moineaux, n’a pas de mots assez durs envers les pigeons. Elle éprouve à leur endroit sans le savoir la même aversion que Jean-Mo qui les surnomme les rats volants.

 

43

 

Le sommeil ne va pas de soi quand on s’appelle Jean-Mo. Stilnox, zolpidem et autres hypnotiques sont ses alliés de presque toujours, Pas toi ?

Ce qui a l’avantage de montrer au grand jour sa seule concession godardienne, Au pieu les ptits vieux.

 

Il a renoncé aux alcools forts, au whisky avec les amis, mais il faut bien dormir quand sonne l’heure, passé minuit. La plupart des calmants reposent à plat sur les tablettes de l’armoire à pharmacie. Il n’est cependant pas rare d’en retrouver par section de deux ou trois, ou bien orphelins, un peu partout dans la maison, au pied du lit, à côté du sachet de thé, sur la tranche de Journal de Trêve de Frédéric Berthet, jusque sur le poste de télévision qui vient de tomber en panne et ne marche plus que quinze minutes si on appuie sur le bouton. Il suffit de tomber sur le bon quart d’heure.

 

On peut ainsi suivre Jean-Mo à la trace. Un vrai personnage de conte c’est, entre Petit Poucet et Bel au bois.

 

44

 

Je me surprends depuis quelque temps, si d’aventure je passe devant un temple shintô d’allure modeste, à m’y arrêter. La première fois, j’avais un peu continué ma route puis avais fait marche arrière mais petit à petit, je pile tout net, dépose mon vélo, attrape quelques piécettes à jeter aux petits renards de pierre, entre les jours du coffret de bois. Je tire le cordon, résonne la clochette, claquent mes deux mains, prière. Paumes jointes, tête baissée, mirettes closes, j’y crois, c’est quand même épatant de vivre ici.

 

Parfois, les renardeaux m’écoutent, d’autres fois, ils se paient ma fiole. Peu importe, j’y reviens toujours.

 

45

 

Qu’est-ce que tu as fait et qu’est-ce que tu as fait d’autre et qu’est-ce que tu vas faire, là ? C’est un peu l’oral du bac mais c’est aussi que Jean-Mo, à ses heures, se préoccupe de savoir comment je me déplace dans l’espace et le temps. Disons qu’il s’ennuie en cette morne saison. Il a pourtant rendez-vous avec une connaissance, ce qui constitue un plan pour la soirée, ce qui n’est déjà pas si mal, du moins est-ce ce que je tente de faire prévaloir quand je me heurte à une falaise, Son prénom est Robert et c’est une brute. Je ne m’avoue pas vaincue et insiste, Écoute, tu as une bonne voix. De marbre s’avère la falaise, C’est parce que je me force.

 

46

 

Coup de téléphone rituel de Mer, c’est dimanche.

 

Tout est dans la manière. Il y a façon et façon. Quand plus rien ne va, que l’entourage devient sourd – on dirait que c’est ni plus ni moins tout un troupeau de mammouths adultes qui défile jusqu’à point d’heure à l’étage du dessus – bref, que des mises au point s’avèrent nécessaires, d’aucuns se promettent de remettre les pendules à l’heure, d’autres envisagent de redresser quelques bretelles. Une minorité émet le souhait plus ou moins discret de faire entendre un autre son de cloche à partir de maintenant.

 

Mer se distinguera une fois de plus, mettra les points sur les i et les barres sur les t.

 

47

 

C’est décidé, Jean-Mo va venir. Il demandera une place près d’une issue de secours, côté couloir de préférence, il a des doutes, ça ne marchera jamais, ça ne marche jamais ces trucs-là mais je le rassure, moi qui n’y connais goutte.

 

Jean-Mo vais-je le reconnaître, il y a si longtemps que j’affabule sur les images numériques de Mantoue. J’ai plus ou moins consciemment oublié mes lunettes, aller cueillir son bien-aimé à l’aéroport à la loupe, peut mieux faire.

 

J’ai tout le temps, l’Europe entière peut débarquer, d’ailleurs elle ne se gêne pas. Puis quelque chose détone qui me met en alerte, certaine dégaine là-bas, certaine blondeur. Au cas où un dernier doute subsisterait, j’avise la valise à roulettes qu’il traîne après lui, un ruban rose attaché à la poignée. Un bon vieux truc à Jean-Mo.

 

 48

 

Quand c’est Mer qui fait le voyage jusqu’ici, elle est surclassée. Ce doit être magnétique, on avise cette cousine de Meryl Streep et on la fourgue en classe affaires. Mer trouve ça normal. A la réflexion, moi aussi.

 

49

 

Yasaka jinja, 1er janvier.

Tandis que je fais ma prière aux renards, Jean-Mo scrute les stands : takoyaki, seiches au shoyu, yakitori grassouilles, fallacieuses saucisses – comme gelées à l’intérieur malgré leur allure de grillé, manju en forme de poissons, pommes d’amour et autres barbes à papa. La pluie commence à s’abattre, mille parapluies s’ouvrent en un formidable froufrou synchrone.

 

Près de l’étang, un jeune jongleur nargue l’averse à coup de torches enflammées. Dès que l’une s’éteint, il l’embrase à nouveau. Chacun délaisse aussitôt ses brochettes pour assister au duel céleste. Vaguement à l’abri sous un minuscule pépin acheté à la va-vite, je sors ma caméra, tend une saké-cup à Jean-Mo dégoulinant. Je filme le dément qui lance désormais dans les airs à peu près tout ce qui lui tombe sous la main, rattrape, relance et rebalance ses accessoires sans faillir – ce serait des jonquilles ce serait pareil. Les enfants hurlent leur joie. Succombant à l’envie de boire moi aussi une goutte de saké, je range ma caméra, Jean-Mo se fronce, Tu veux partir ? Je, Non et toi ? Il, Jamais de la vie. On rit sous la pluie, on a cinq ans.

 

50

 

Je ne sais plus comment ça a commencé, peut-être avec sa collection d’éléphants, le tout premier ayant été une breloque en jade ballottant à sa gourmette et puis de fil en aiguille, au cours de voyages plus ou moins exotiques, ébène et ivoire se sont succédé, ça s’est affirmé dans le gabarit, ça s’est su parmi les amis, trompes en l’air ou trompes baissées il fallut faire un choix, qui fut fait, et ça quitta fissa les étagères pour s’exposer en vitrines. Oui, cela a dû se passer ainsi, d’abord les éléphants puis le goût de la chine.

 

Aujourd’hui, Mer s’est mise à la restauration de porcelaine. On lui rapporte de partout assiettes, bols, saucières anglaises, lapins. Une fois les ébréchures colmatées, il s’agit de recolorer à l’identique. Il y faut toute la patience du monde mais c’est la tâche préférée de Mer. Elle prendra tout son temps, jaugera chaque poil des pinceaux offerts à son regard, glanera chez tous les marchands de couleurs possibles tous les nuanciers imaginables et trouvera sans faillir la teinte ad hoc. Mélangera à l’occasion, goutte à goutte.

 

Quand Mer vient au Japon, elle s’émerveille, fatal, rapport aux nuanciers.


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Il y a l’ami Sy et Jean-Mo à l’avant, Sae et moi à l’arrière. On va fêter l’anniversaire de Jean-Mo loin de la ville, on a prévu un minshuku, des repas de crabe, des onsen, des jeux de cartes aussi. Au bout d’une bonne heure, la grande banlieue cède peu à peu devant la nature. A peine a-t-on évoqué à haute voix la montagne que la neige décide soudain de se mettre de la partie, talonnée par les essuie-glace. Et Sy d’entonner des enka, “Osaka de umareta onna wa Sakai”, que Sae et moi reprenons en canon, c’est pourtant vrai qu’on s’amuse. Peut-être parce qu’on part vers la mer du Japon, ce qui est toujours une fête en soi, même si Sae et moi savons en prime qu’il y a du champagne et des cadeaux dans le coffre de la voiture. Peut-être parce que c’est tôt le matin, souvenir du petit battement de cœur quand le réveil sonna aux aurores.

 

Peut-être aussi parce qu’au moment du partir, Jean-Mo a lancé En voiture Simone, je conduis tu klaxonnes.

 

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Pluies d’avril, canicules d’août, rigueurs de février, Mer connaît quasiment toutes les saisons de Kyoto et quelle soit-elle, la request sera la même, Emmène-moi à la mer, emmène-moi à Amano Hashidate – le Pont du Ciel.

Amano, une bande de sable blanc et doux avec la mer du Japon de chaque côté. Quatre kilomètres de pinède de sable blanc et doux, au bout desquels un village de pêcheurs et un temple sur la montagne. De là, si on est souple, on se plie en deux au point de glisser sa tête entre les jambes, le paysage se renverse, le ciel devient la mer, la mer le ciel.

 

Le pont bleu ciel qui y mène s’avère être un pont tournant. Il y aura toujours quelqu’un pour se laisser surprendre et suspendre avec ravissement.

 

Si Mer savait le sentiment que Jean-Mo nourrit lui aussi pour les ponts, toutes sortes de ponts, un peu comme Barbey dans ses Memoranda – 2 octobre 1856 : « J’aime les ponts. Je les ai toujours aimés et ne puis passer sur aucun sans involontairement m’arrêter ». Oui, si elle savait, ça apporterait un peu d’eau à mon moulin.

 

53

 

Dialogue d’été

– Dis

– Oui

– Jean-Mo

– Oui

– Tu viens me voir ?

– Mais non, je t’attends. Et puis pointe-toi vite parce que tu commences à m’énerver.

– Tu n’aimes pas Kyoto

– J’adore Kyoto

– Tu n’as pas confiance en mes ventilos

– J’adore tes ventilos

 

Dialogue d’hiver

– C’est Marie-Jeanne qui te rend nerveux ?

– Cette fille est un monument d’ennui, non

– Tu n’aimes pas mes amis

– J’adore tes amis

 

54

 

Il ne faut pas être trop gentil dans la vie. Tu vis au Japon, tu ne sais pas tout, tu as oublié, il y avait un boucher ici. Tiens, c’est vrai, je me souviens, un boucher chevalin ? Que vas-tu chercher, un boucher, point final. Eh bien il est parti. Il était tombé amoureux d’une fille qui ne supportait pas son état de boucher. Chevalin ? Laisse tomber. Il est devenu fleuriste pour plaire à la fille et elle l’a épousé. C’est le plus beau magasin du quartier, du reste. Et ensuite ? Ça a duré six mois et c’est fini, a filé avec un autre, comme quoi, faut pas faire les quatre volontés d’autrui. C’était pas autrui, c’était son amoureuse. Je sais ce que je dis.

 

L’amour et Mer.

 

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Durant ces vacances d’hiver, Jean-Mo aura perdu un gant, il aura eu trop froid malgré le kotatsu puis trop chaud – malaise au beau milieu des vapeurs des onsen. Il aura échoué dans sa tentative d’arrêter de fumer, un projet qu’il caressait depuis des mois. Il aura acheté une paire de chaussures qu’il ne chaussera jamais. Il aura rongé son frein tout au long d’un dîner kilométrique où moi-même, Seigneur. Comment peux-tu supporter cette débile mentale, cette bas-bleu de mes deux, le genre conne intelligente, le pire. Tu vois, ce genre ? On vécut en somme sur le rythme d’une scène par semaine Tu ne vas pas me dire que tu fais partie de ces gonzesses qui disent challenge, un mot que je hais. De retour au pays, il m’appelle, C’était formidable de bout en bout.

 

56

 

Je ne sais pas ce qui se passe mais Nicole a les mains de plus en plus rouges, d’ailleurs, elle les cache sur les photos, tu as vu. Penélope est avec Tom maintenant, je t’avouerai que je ne comprends pas. Est-ce le syndrome Marylin, Mer appelle les acteurs par leur prénom. Il y a eu un reportage sur Marcello la semaine dernière. Je comprends que Catherine lui soit tombée dans les bras.Tiens, j’ai relu le livre sur Romy que tu m’avais offert pour mon anniversaire, il y a des photos vraiment superbes, sais-tu que sa fille fait du théâtre, elle a le sourire de sa mère.

 

Moi aussi, je crois, surtout en ce moment. 

 

57

 

Jean-Mo connaît un nombre incalculable de choses, ce qui fait partie de son charme – qu’on aurait pu croire, au départ, indéfinissable. Tout à trac, il me dit Le premier répondeur téléphonique au cinéma, c’est dans En quatrième vitesse et il est grand comme une armoire normande.

 

En même temps, un rien l’étonne. Alors comme ça, elle a besoin d’un petit café après son thé du matin ?

 

58

 

Il y a une bonne quarantaine d’années que Mer a quitté le bourg de Léhon pour venir s’installer à Paris, optant pour la coiffure. Trois ans d’apprentissage avant de passer professionnelle et bénéficier du privilège de confectionner en personne le chignon-banane de Claude Bessy.

 

Retournant dans le IXe pour diverses courses, Mer me confie s’être aventurée vers la Trinité pour se rendre compte de l’évolution du quartier. Que le salon de coiffure ait disparu, elle en avait eu écho, mais la boulangerie-pâtisserie qui faisait l’angle, ça. En fait, c’est tout l’immeuble qui a été rasé puis rebâti, on n’entre plus par le 76 rue Taitbout pour pénétrer au 39 rue Saint-Lazare. Le traiteur asiatique (ex crèmerie), les deux bijoutiers à deux numéros d’intervalle, le libraire, le cordonnier, tout s’est évaporé, tout est devenu compagnies d’assurance et agences de voyages. Seule la poste tient encore debout, moche comme tout.

 

Certes, Mer ne s’attendait pas à revoir passer des chevaux livrer le charbon de bois au bougnat de la rue des Martyrs, mais elle a un ton que je ne lui connaissais pas quand elle conclut, C’est comme si on n’avait jamais existé.

 

 59

 

Une artiste s’avise de faire un film sur Jean-Mo, un moyen métrage dans lequel ce dernier aurait tout loisir d’exposer sa philosophie ou quelque chose. D’abord alerté, il accepte assez vite, la cinéaste est belle et c’est une amie chère qui sait son métier. On tournera les plaisirs et les peines de Jean-Mo à la ville et à la campagne.

 

Soir de première. Tout le monde a adoré le voir sur grand écran, lui assure-t-on. Je n’ai pourtant émis que des fadaises, ricane-t-il. Mais non et puis quand bien même, tu es tellement cinégénique. Yeux au ciel de Jean-Mo. Et puis ce n’est pas vrai, à la radio, on ne te voit pas et c’est pareil, on t’écoute dans l’adoration. C’est parce que j’ai une jolie voix.

 

60

 

Quelques uns des films préférés de Mer, de ceux qu’elle a vus au Wepler ou ailleurs, en compagnie de sa vieille amie Line, juste après l’ultime coup de peigne prodigué à Claude Bessy, tandis que Johnny, en route vers ses répétitions à l’Olympia, paradait rue Saint-Lazare dans sa décapotable.

Autant en emporte le vent, Bonnie and Clyde, Les choses de la vie, La comtesse aux pieds nus, Les damnés, Elle et lui, Eve, Fenêtre sur cour, Gilda, Les hommes préfèrent les blondes, L’inconnu du Nord-Express, Johnny Guitare, King Kong (1933), Lawrence d’Arabie, La nuit de l’iguane, On achève bien les chevaux, Les parapluies de Cherbourg, Le quai des brumes, Rivière sans retour, Les sept mercenaires, Les tontons flingueurs, Le train sifflera trois fois, Un si doux visage, Vertigo.

 

Le moyen d’être en désaccord.


61

 

Mon paquila souffre, le mot français n’existe pas, en japonais cela s’écrit パキラ, ses feuilles font pitié. Jean-Mo non plus n’a guère la main verte. Même le lierre, avec moi, soupire-t-il. Tout en nageant à l’endless pool, ma piscine découverte préférée, je cherche les paroles de ce qui deviendra Paquila song.

 

Penser au Japon,

plus penser au Japon,

toutes ces années là-bas bullées, ne plus y penser

Mais qu’est-ce que tu fais là ?

– Je pensais au Japon.

Sais-tu, je fus un temps princesse de Toyonaka,

au milieu des rizières

et des bois de bambous,

dans la machiya à l’ombre de mon paquila

 

Penser au Japon,

plus penser au Japon,

toutes ces soirées là-bas noyées, ne plus y penser,

ni au dos des tortues

de la Kamogawa,

ni au monde de Kaï,

le monde est petit,

Kaï-san no sekai, ça s’appelle Hachimonjiya

 

Mais qu’est-ce que tu fais là ?

– Je pensais au Japon,

les parapluies sèchent aux balcons les lendemains de pluie

 

Qu’est-ce que tu fais là ?

– Je pensais au Japon

 

Que s’est-il donc passé ?

J’avais bu ou quoi,

quand j’ai dit bye bye à mon paquila

 

Décision est prise, on dirait.

 

62

 

En plus, le mot français existe.

Pachira c’est.

 

 

kumo

 

 

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