L’avais noté en bleu ciel de mer sur mon agenda de papier, en avais tellement caressé l’idée que le soir venu, plus l’énergie, plus la force, plus la foi. Pas pu quoi, pas pu aller l’écouter jeudi dernier parler de son dernier bouquin de papier. Pour me consoler, je relis Fou civil.
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Celui qui mange seul aurait bien tort de se priver de décorum. Posé sur une assiette blanche, la boîte de sardines est un étui d’argent contenant des barrettes de vermeil. Un mouchoir brodé sous l’assiette accentue encore l’effet. Si, comme pain, il n’y a que des biscottes, celui qui mange seul ne doit jamais se priver de les extraire de leur emballage et de les dresser en château de cartes représentant le fameux palais de Soliman roi des Djinns, les sardines ne refroidiront pas pour autant et leur parfum pourra entretenir l’appétit de l’architecte de service. L’essentiel, dans un tel repas, est de se ménager des pauses, dans la mastication et la déglutition, comme pour une conversation silencieuse et des toasts portés en l’honneur de qui le mérite et comme il se doit. Celui qui mange seul use pour boire son vin d’un verre à pied dans lequel il consent à verser de la bière ou de l’eau quand le vin manque ou que son humeur n’est pas aux boissons fermentées.
Eugène Savitzkaya, Fou civil, Argol, 2014