Mois: septembre 2014

la plus belle ville du monde

 

Mes   palmes  m’accompagnent.   Je  suis  confiante.  L’année  dernière,   j’avais  demandé   la   permission  de les enfiler pour nager et on me l’avait accordée sans problème.  Aujourd’hui,  dès  l’entrée de la piscine : Voyez sur place avec le maître-nageur.  Non  que  ça sente le sapin  mais,  légèrement  doutante  soudain.  La maître-nageuse,  allure  pas  commode,  me  dit  d’attendre.  Cinq bonnes minutes plus tard, elle réapparaît, toujours pas commode : C’est bon, il n’y a personne dans la piscine, ça va. Mes doutes fondent, deviennent bulles de savon ; en plus, ce sont de toutes petites bulles de débutants, je veux dire palmes.  Bref, je nage dans la  joie.  Trois longueurs plus tard, on revient, changement  de  disque. Interdit : Vous pourriez blesser  quelqu’un.  Il y a moi  et moi  dans la piscine.  Tentative   d’insurrection : Mais enfin,  il n’y a personne,  vous  venez  de me  le  dire !  Elle  tourne  les talons, mal entendante.

Oui,  je suis à Kyoto, la plus belle ville du monde – c’est vrai.

 

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© Sae Shimai

Je me souviens (4)

 

190 – Je me souviens que, le lendemain du concert de CODEINE,  à l’Arapaho,  je croise  un  garçon qui a le même t-shirt que moi la veille :  celui  avec  le  chat sur un fond noir.   Je ne  l’aurais  jamais abordé sans ça,  et je serais passé à côté d’un de mes meilleurs amis.

 

193 – Je me souviens que sur certains CD, le morceau caché ne se situe pas à la fin mais au début, avant le premier index. Pour l’écouter, il faut maintenir le doigt appuyé sur la touche <<  juste après avoir lancé le disque. J’en ai trouvé deux pour le moment, mais je ne peux pas m’empêcher de penser que, si ça se trouve, je suis passé à côté de plein d’autres.

 

302 – Je me souviens de ma première rencontre avec BRIGITTE FONTAINE : elle court habillée en extra-terrestre dans les rayons du Virgin Megastore en chantant “T’occupe pas, donne-moi du nougat”. Comment voulez-vous que j’oublie un truc pareil ?

 

Philippe Dumez, Trente neuf ans et demi pour tous

(à suivre)

 

la dent

 

Au mois de septembre je suis allée une semaine en voyage organisé par mon école qui encourage le bénévolat – en juin je m’étais inscrite  pour  jouer de  la  flûte  dans les maisons de  retraite. Le cours privé est catho, on fait sa B.A. comme les scouts. À mon retour je me suis pointée à l’hôpital puisque Jack m’avait promis de redresser ma dent. Cette dent mal plantée qui toujours m’obsède. Il a dit, Enfin te revoilà.  Écoute, on se marie.  Comme  si  on  l’avait  longtemps projeté et qu’enfin la décision soit prise. Il s’est arrêté de me fourrer dans la bouche ses instruments barbares, s’est penché vers le lavabo, m’a tendu un gobelet plein d’eau. Rince-toi. Je tremblais. J’ai renversé de l’eau sur sa blouse blanche. J’ai levé les yeux vers lui. J’ai eu un sourire immense.

 

Il a dit, tranquille, confortable, Ça sera vraiment sans problème de te surveiller les gencives. De vérifier que tout va bien. Je t’aurai sous la main. On se marie, ta mère et moi.

 

Annie Saumont, La dent in Le tapis du salon, nouvelles

Je me souviens (3)

 

138 – Je me souviens de MARIA ET, un groupe qui, s’il avait continué sur la voie de son séminal 6 titres La fuite en avant, aurait éclipsé Noir Désir. Je tremble encore chaque fois que j’écoute “Allons-nous-en / Voir ailleurs / S’il fait aussi mauvais / La nuit va tomber / Toute la ville est à nous / Jamais de la vie / Je n’ai eu autant envie / Allons-nous-en / Avant de redevenir / Fous”.

160 – Je  me  souviens  d’un adolescent  qui,  au sommet de sa période gothique,  s’offre  un serpent. Un jour, il oublie de refermer la porte du vivarium avant de sortir et l’animal se sauve. Sa mère le retrouve le soir enroulé autour du fil du téléphone. Je n’aurais pas aimé être lui ce soir-là. Mais je n’aurais pas aimé être sa mère non plus.

186 – Je me souviens de ce passage à la fin de “You’re The One, Lee” de MIRACLE LEGION,  qui  me  tire  les  larmes  à  chaque fois  :  la  fille s’est tirée,  il  a  passé  la nuit à  attendre  avec  ses  parents  sur le porche de la maison, le matin elle rapplique, et il ne lui fait même pas un reproche : il la regarde au fond des yeux et lui dit qu’il n’y a qu’elle qui compte. Moi, si j’avais un label, je commencerais par rééditer tous les disques de Miracle Legion.

 Philippe Dumez, Trente neuf ans et demi pour tous

(à suivre)