faire gogaille

 

Lors de mes patrouilles de reconnaissance je passais souvent devant une marchande de quat’saisons, une femme d’âge moyen, d’aspect ordinaire et au verbe coloré. Elle vendait essentiellement des petits pois. Un client qui après avoir goûté de cet article, s’en alla en haussant les épaules, sans avoir rien acheté, fut gratifié par elle de titres qui pour la variété et la qualité n’avaient rien à envier à ceux d’un souverain oriental. Et avec ça on peut voir tous les jours un vieux moineau se gaver en toute impunité, sans jamais être chassé, de ces mêmes petits pois, ouvrir les gousses et faire gogaille avec les grains, et jamais encore je n’ai trouvé le courage de demander à cette marchande de légumes si elle était veuve. Car il est tout simplement impossible de ne pas se dire : le moineau n’est ni plus ni moins que l’époux défunt de cette dame qui la revient visiter et – ô arcanes de l’inconscient – se fait nourrir par elle !

Albert Ehrenstein, traduit de l’all. par Claude Riehl et Sibylle Muller,

Tubutsch

 

sudek

Josef Sudek