Ou bien, il y a le Bernard l’ermite aux yeux verts, et tous ses copains : le pagure anachorète, le pagure poilu, le pagure sédentaire, pour les âmes plus mobiles, moins gracieuses et plus collectives. Plus « mobiles » d’abord, puisqu’un Bernard l’ermite ça galope de partout et ça ne rêve pas de rentrer en soi – ça ne le fait que sous le coup du danger. Grande sagesse des trouillards : rentrer en soi, ce n’est pas une sinécure, ce n’est qu’une honnête stratégie de survie. Moins « gracieuses » ensuite, parce qu’il n’y a rien de plus comique qu’un Bernard l’ermite recroquevillé dans sa coquille – bien moins classe qu’une huître qui tient tout puis lâche tout. Mais à cela aussi tient sa sagesse : on ne rentre pas en soi parce qu’on sait s’aimer soi-même, on rentre en soi parce qu’on sait ne plus avoir peur du ridicule. Enfin plus « collectives », parce qu’une coquille ne faisant pas toute une vie, le Bernard l’ermite est bien obligé d’en changer de temps en temps. Mais comment faire quand on sait qu’au-dehors tout menace ? Alors il a inventé ce que les éthologues appellent la « chaîne de vacances » : de nombreux Bernard l’ermite de tailles différentes se réunissent autour d’une coquille vide adaptée à la croissance du plus gros d’entre eux, et chacun passe ensuite dans la coquille de l’autre, la plus petite restant vide. Qu’on réfléchisse à ce modèle de vie collective : c’est une leçon pour nous tous.
Pierre Zaoui
extrait de Rentrer comme des bêtes, Vacarme nº73, automne 2015